Christelle Labourgade a vécu et travaillé dans les îles Comores, en Guinée, au Mali et en Tunisie avant de poser son chevalet à Marseille quelques années puis rejoindre Venise et nous revenir. Elle en a rapporté un regard de lumière, des couleurs de terre, des touffeurs de savane, des rythmes séculaires.
 Elle en a également ramené une familiarité à la nature, une immersion poétique dans le temps, et une science instructive de ce qui se cache derrière la peau des choses et leur apparence première.

Au travers de ses peintures elle nous invite à la suivre dans cette plongée au cœur vrai des choses. 
Jouant de sa palette avec une infinie subtilité, elle évoque l’ombre des rues chaudes ou l’intimité d’une chambre, la solitude, l’attente, le silence.

Son expression est tournée vers la suggestion plutôt que la description.
 Dans ses couleurs vibrantes, parfois saturées, on ne décèle que la trace des choses, l’ombre d’une ombre, le reflet d’un mouvement déjà achevé, son souvenir plutôt que sa réalité.
Christelle Labourgade est de ces peintres voyageurs, entraînés par l’air du temps, et que rien ne semble pouvoir retenir. Ses tableaux sont des cadeaux qu’elle nous offre entre deux partances, et le sentiment qui subsiste de cette rencontre, c’est la fugacité de son univers, mais aussi son indicible et précieuse beauté.

« C’est moi, nous tous qui vous sommes reconnaissants de nous dévoiler aussi intimement vos frémissements et votre lumière; ils nous convoquent à l’essentiel. Ce n’est pas ordinaire.

Vos travaux, un impressionnant ensemble de votre vie, captatrice des mystères et des silences , des errances et des ombres qui fuient.. J’admire et suis troublé par la force de votre geste et ce besoin d’aller chercher ce qu’on ne voit pas, sous les cailloux, derrière les porches, entre les plis…
Et je me reconnais ainsi dans vos murs tragiques et lumineux, l’ arche pure de vos porches usés, clos sur le mystère, l’abandon, à la fois familiers et anonymes, où des vies s’effacent en vain, un être en solitude, une souffrance qui fuit que vous captez avant qu’elle ne perde tout lieu de mémoire »

Pierre-Yves COUSTÈRE

« Elle grandit à Paris. La ville et ses murs lui dictent les noirs; elle appelle ça « la peau des murs ». Elle cherche une trace, le droit à une empreinte à laisser dans ce monde. Elle cherche.
Ses pas la conduisent à une petite île de l’Océan Indien dont les bleus de la mer détournent le regard de l’horizon. Le vert de la Nature s’illumine d’or quand le soleil l’effleure le soir. Dans cet absolu de couleurs elle écarte les noirs et s’abandonne à ces mêmes couleurs.

Et puis elle découvre le continent africain, le Sahel plus exactement. La poussière épaissit l’air et l’intemporalité des êtres qui peuplent ces terres habille d’une facture nouvelle ses tableaux. La palette se remplit de rouges, d’ocres et de bruns profonds. Sa quête se précise. Là-bas on ne retient que l’essentiel. Un autre pays de ce continent lui livre les couleurs froides, les bleus et les verts d’un paysage au ciel blanc.

Le Maghreb l’accueille plus tard de sa lumière crue et violente. Elle est telle, cette lumière, qu’il n’y a plus de place pour l’ombre et il lui faut reprendre la route et aller ailleurs pour la trouver. Une lumière sans ombre n’a pas toute sa beauté.
C’est Marseille qui la lui procure. Les entrailles d’une ville où les destins s’entrecroisent, où les errances se rejoignent. C’est ainsi qu’elle la vit. Là-bas elle peint la nuit. A côté de ceux qui tournent le dos à la lumière du jour.

Elle fuit la ville et le pays pour se mettre à l’abri du monde et jouir de la beauté de l’Art. Une immersion de quelques années dans la Sérénissime, Venise et l’eau qui répare. La ville et ses musées dans les églises. Le bonheur de tout instant grâce à tout ce qui nous entoure.
De Paris elle a gardé les noirs, de la grande Comore la découverte de la couleur, de l’Afrique la matière et les palettes chaudes et froides. Du Maghreb la lumière et de Marseille l’ombre.
Venise lui donne le souffle et la force de revenir à Paris 25 ans plus tard. »

« Chaque toile nous fait oublier, au fil de notre parade, l’autre. Celle d’avant. Et nous revenons avec bonheur vers l’une et l’autre pour revoir et encore revoir pour mieux lécher du regard «la beauté saisie au vol, retenue d’un geste, suspendue à l’énigme d’un regard ou à l’attente d’une rencontre», raconte l’artiste qui a habillé ses toiles de son talent et leur a donné des couleurs et des… profondeurs.
Des toiles offertes, ouvertes à elle pour qu’elle les peuple avec qui elle veut. Des êtres qui inspirent la douceur. Mais aussi l’effacement. Des êtres livrés à seulement eux-mêmes et qui se moquent éperdument du monde extérieur. Et c’est de leur choix.
Autour de ces êtres coffrés dans leur gouffre du jour, il y a un petit fil, une sorte de lueur de soleil qui frappe la toile avec du rêve, le temps d’un soupir, d’une sieste, d’une attente, d’une pause ou une pose… Peut-être à partir d’une de ces portes qui s’ouvrent, se ferment et qui renferment… va surgir un ange doublé de son fantôme ou un trésor…
Et dès le seuil de chaque passage, on peut s’y attendre à tout et toute sorte d’ombre peut se profiler à tout moment.
Une ombre qui nous drape au moment où on se croise, on se quitte et dès le point d’intersection. Un point, un regard, une lumière qui égaie le passé pour ne pas dire adieu à la mémoire.
En diptyque, en triptyque ou autre, la toile nous trempe dans la sueur et nous prend par la chaleur des couleurs.
L’orange revient souvent et fait frémir, transpirer sur d’autres tons gavés de violet et bavant sur un tendre ocre déroutant par l’intensité de l’ombre.
Ça tourmente et nous fait penser (ou pencher) sur la terre, la terre de nos ancêtres qui nous aspire vers l’infini…, qu’on ignore. Puis la complexité des couleurs de nous projeter vers l’ailleurs. Ces couleurs qui brûlent d’un côté sont les mêmes qui nous rassurent d’un autre côté à travers des lumières qui arrivent fragiles, timides pour esquisser des êtres assis, debout ou qui trottent avec le temps. Le temps d’un songe qui ne prend pas de fin. Cette Christelle Labourgade broie tout sur son chemin et n’a pas de temps à perdre et n’a pas pris la peine pour trouver des noms qui correspondent à ses huiles. Elle a laissé le champ ouvert à toute appellation, à toute identité, à tout commentaire. Des toiles «sans titre» avec des lumières qui cajolent les ombres et le tréfonds des êtres.
Ce n’est pas le cas des pastels, ici, Christelle Labourgade a préféré leur fixer une identité. Celle de la solitude qui rase les murs et ses dessous. C’est une occasion pour découvrir l’art dans sa splendeur. Le vrai !
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Zohra ABID